Extraits des Affiches du Poitou
Encore un allaitement fatal.
Lettre écrite du Haut-Poitou
On m'a parlé depuis peu de jours d'une femme qui avoit nouri six enfans de son mariage, & qui les a perdu tous six, à peu près à la même époque, savoir à l'âge d'environ trois ans, par des maladies très-semblables, dont je crois pouvoir attribuer la cause & l'analogie à la mauvaise pratique qu'avoit suivi cette mere, de retirer son premier enfant de nourice, après être accouché du second, & de lui donner un lait que la nature n'avoit pas préparé pour lui. Elle a continué de cette sorte jusqu'au sixieme, sur l'idée qu'elle avoit que son lait étoit dans cette circonstance plus abondant que celui des nourices, & elle a été punie de s'être crue plus sage que la nature. Je viens de m'informer du fait, à cette femme même, qui m'est convenue que ce malheur lui est arivé par son imprudence. Ses six enfans sont morts hydropiques ; le septieme qu'elle a nouri dès l'instant de sa naissance & qui est parvenu à l'époque fatale à ses frères, est dans un état de santé & de vigueur qui confirme les torts de sa mere & justifie ses regrets. C'est l'épouse d'un honête bourgeois de ma connoissance qui consent que l'on publie ce qui lui est arivé, pour avertir peut-être quelques meres, du danger qu'il y a de s'éloigner de la route que nous a tracé la nature.
Affiches du Poitou, n° 9, du 3 mars 1774, page 38
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La valise
ANECDOTE
Au mois d'Août 1770, un Laboureur du village de Borc, sous Airvault, trouva entre Borc et Assais, vis-à-vis Jumeau, sur le chemin de Thouars à Assais, une grosse valise de cuir fermée d'un cadenat, qu'il eut bien de la peine à lever. Il se servit des cordeaux de son atelage pour la faire tirer par ses mules dans un champ voisin, où il la couvrit de terre. Trois quarts d'heures après, il vit venir un homme ayant une mauvaise redingote blanche, un chapeau brodé, & monté sur un très beau cheval noir, lequel lui demanda s'il n'avoit rien trouvé ; la premiere réponse du Laboureur fut négative ; l'inconnu ayant répliqué qu'il avoit perdu une valise, le Laboureur convint de l'avoir trouvéé, & exigea avant de la rendre, que cet inconnu se dépouillât ; il vouloit apparemment voir s'il n'avoit point des armes ; l'inconnu fit ce que le Laboureur exigeoit. La valise fut rendue ; ils eurent beaucoup de peine à la remettre sur le cheval de l'inconnu, qui se hâtoit beaucoup, qui dit au Laboureur qu'il y avoit trois nuits qu'il n'avoit dormi, & qui partit sans lui rien donner, prenant la route de Poitiers ; mais le Laboureur avoit déjà éventré la malle, qui étoit pleine de bourses remplies d'or & d'argent, & en avoit pris quelques pièces, entr'autres une pièce d'Espagne. L'inconnu avoit bien apperçu que la malle étoit percée & il n'en dit rien.
Affiches du Poitou, n° 9, du 3 mars 1774, page 40
Commentaire : Ce n'est pas très clair, tout ça. Je soupçonne quelques pressions assez musclées pour que le Laboureur lâche si facilement le morceau. Avec plusieurs dizaines de kilos d'or et d'argent (il fallait être deux pour monter la valise sur un cheval), il aurait eu la meilleure des raisons de se taire !
Quand au voyageur qui trotte ou galope (il paraît pressé) avec une valise percée de cette sorte, le petit Poucet n'aurait eu aucun mal à assurer la subsistance de sa pauvre famille pendant quelques siècles.
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Orage meurtrier
De Champagne-Mouton, 23 Février.
Il a fait tout le jour un temps afreux, qui a été marqué par un événement funeste. Il s'est élevé dès ce matin un vent très-impétueux. Vers les neuf heures, l'air étoit chargé de nuages épais, menaçans de grêle, & il en est tombé. On a entendu du tonerre au loin, & cela paroissoit extraordinaire dans cette saison. On n'a pu en douter vers les onze heures ; il a été fort, & à midi tout l'atmosphere a paru comme en feu. A la suite d'un éclair très-vif, la foudre est tombée avec le plus grand fracas sur le colombier de la maison de la Simonie, apartenant à M. Fouquet de la Boissiere, Inspecteur des Domaines du Roi en la Généralité de Poitiers. Les murs de ce colombier, quoique très-épais, ont été renversés ; delà la foudre a pénétré dans la boulangerie, où elle a tué un domestique, que l'on a trouvé écrasé & à demi consumé sous les ruines de ce bâtiment ; Elle a ensuite traversé une grande cour, & est entrée dans la cuisine, où se trouvoient dans ce moment Madame Fouquet avec ses enfans & ses domestiques, qui ont tous été renversés, mais sans recevoir aucun mal. Les effets de ce météore sont toujours aussi singuliers qu'éfrayans.
Affiches du Poitou, n° 10, du 7 mars 1776, page 28
Commentaire : Foudre en boule ?
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Tempête
De St-Gilles-sur-Vie, 30 Décembre (1775)
Dimanche dernier, 24, nous essuyâmes une tempête furieuse depuis midi jusqu'à 6 heures du soir. Toutes les barques qui étoient dans le Port faillirent périr ; les câbles & cordages de 4 furent brisés ; celle du Capitaine Petit fut jetée sur le quai. Heureusement c'étoit à l'issue des Vêpres, il s'y porta beaucoup de monde, on la secourut à propos. Le même jour trois jeunes gens de Notre-Dame de Riez, se promenant dans une Yole, l'un d'eux eut peur, se pencha, l'Yole se renversa ; il s'est sauvé, mais les deux compagnons se sont noyés. Le Lundi le temps fut calme ; on aperçut au large devant notre rade 5 grôs bâtimens, dont deux étoient démâtés. Le Mardi on trouva sur la côte de St-Hilaire-de-Riez un grand mât d'environ 23 pouces ce diametre, une vergue de 62 pieds de long, un mât de hune cassé, des vergues, des gréemens ; tous ces effets sont de proportion à faire juger qu'ils sont d'un bâtiment de 600 tonneaux. On trouva aussi sur la côte de Notre-Dame de Mont, 4 hommes noyés ; & on voit à la mer un petit bâtiment flotant au gré des eaux.
Affiches du Poitou, n° 2, du 11 janvier 1776, page 8
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La cataracte
Lettre de M. Faulcon, Avocat, à Châtellerault, à M. JOUYNEAU DESLOGES
L'Histoire d'une opération de la Cataracte faite par un Chirurgien de cette ville, ne paroîtra pas sans doute déplacée dans votre Feuille. Elle piquera d'autant plus la curiosité, qu'elle a réussi sur une persone âgée de 78 ans. Au moins devra-t-elle plaire aux vieillards affligés de la même maladie, qui se la feront lire. Cette opération a été faite à Madame de Lagorse, demeurant au bourg de Château-Poinsat, près Limoges, mere de M. de Lagorse, Président-Trésorier de France à Riom. Elle avoit la Cataracte aux deux ieux depuis environ 4 ans, lorsqu'elle entendit parler de la dextérité de M. Dupré, Chirurgien, nouvélement établi à Châtellerault. (…). Elle l'appela au mois de Novembre dernier. L'opération fut faite le 13, & fut très heureuse ; les effets en eussent été probablement assez prompts, si la malade se fût bien conformée au régime : & ce n'a été qu'après 35 jours de soins & de traitemens qu'elle a recouvré l'usage de la vue. Quel bonheur ! quelle satisfaction ! après 4 ans d'aveuglement ! qui pouroit exprimer les transport d'une telle joie ? .. Il est à observer que cette Dame a un œil moins vigoureux que l'autre ; ce qui vient selon toute apparence, d'une légere inflammation & de trois accès de fievre, qu'elle s'étoit bien attirés après l'opération. On doit conclure de ce fait, qu'on peut être opéré de la Cataracte à tout âge. Il est même une nouvelle preuve que l'humeur vitrée ne participe point à l'embaras du crystallin. Ce succès qui fait honneur à M. Dupré, a été précédé par bien d'autres du même genre ; Disciple du célebre M. Deshayes-Gendron, il a opéré par Extraction, & non par Abaissement. Chacun sait aujourd'hui la supériorité de la premiere méthode. Les connoissances que j'ai été à même d'acquérir dans cette partie, m'ont porté à lui rendre le présent témoignage qui lui est dû bien légitimement. (7 Janvier 1776)
Affiches du Poitou, n° 3, du 18 janvier 1776, page 11