Cette semaine, je vous recommanderai de jeter un œil sur les articles parus dans les ADP du 4 avril au 27 juin 1782, vues 2 et 3, sous le titre « L'antiméphitique ». Vous y verrez quelques savants messieurs inclinés sur les tinettes ! Les articles sont trop longs pour être recopiés ici.
Une centenaire
La nommée Françoise Bodin, veuve en troisiemes noces de Pierre Multeau, Maréchal au village de Pressac, paroisse de Jadres, à une lieu de Chauvigny, est morte depuis peu, âgée d'environ 105 ans, sans avoir eue jamais aucune maladie, pas même la petite vérole, ni la rougeole. Son premier état, jusqu'à l'âge de 25 ans, a été celui de Couturere, & depuis jusqu'à l'âge de 102 ans, elle n'a exercé que celui d'accoucheuse. Elle n'a eu d'autre infirmité pendant toute sa vieillesse qu'un peu de surdité. Elle n'est morte que parce que la nature défailloit, & sans douleur ; elle travailloit encore 10 jours avant sa mort, & elle a joui de toute sa raison jusqu'au dernier moment.
Affiches du Poitou, n° 15, du 15 avril 1773, page 60
Le Grand Paon de Nuit
Des environs de Chaunay, 27 Février.
On m'apporta le 28 Juillet 1771 une chenille d'une très-belle espece ; elle avoit plus de 3 pouces de long, d'un vert un peu jaûne & couverte d'une qunatité de tubercules blancs terminés par une couleur bleue qui approchoit de l'émail, & desquels sortoient quelques poils assez longs. Je mis cette chenille dans un cornet de papier ; & au bout de deux jours elle eut formé une coque brune, assez grôsse, ronde à un bout, pointue à l'autre. Dans le même temps on m'apporta encore une autre chenille de la même espece, que je mis également dans un cornet de papier, & qui eut aussi promptement fait sa coque. Le 25 Mai de l'année suivante, il sortit d'une de ces coques un papillon brun, fort grand, ayant quatre ailes, sur chacune desquelles on admiroit un œil nuancé comme ceux qui sont sur les plumes d'es paons. J'attendois de jour en jour qu'il en sortiroit un semblable de l'autre coque. Il se passé près de 15 jours sans que mon atente fût remplie. Enfin, perdant patience, j'ouvris la coque, & je trouvai la chrisalide à moitié putréfiée & couverte de treize autres petites chrisalides de la grôsseur de deux grains de froment, qui paroissoient vivantes. Je les renfermai dans une petite boîte, & je les vis peu de jours après métamorphosées en autant de mouches de la forme de celles qui déposent des vers sur la viande. Elles étoient cependant un peu moins grôsses & moins noires. Le fond étoit gris foncé avec des raies noires, des anneaux & des poils noirs. Elles avoient aussi les ieux rouges. Je ne pouvois comprendre comment ces mouches avoient pu se former dans cette coque. Il ne me paroissoit pas possible que de pareilles mouches eussent pu s'y introduire pour y déposer des oeugs, puisque la boîte étoit fermée de façon à ne présenter aucune entrée. Je ne pouvois pas non plus attribuer leur origine à la putréfaction comme on l'auroit fait dans l'ancienne écol. Enfin, la lecture du Dictionaire d'Hist. Natur. De M. Valmont de Bomare, a fait cesser mon inquiétude. J'y ai vu au mot « Chenille à Tubercules », la description exacte de celle que j'avois eu, & que sur une de ces chenilles de couleur verte à tubercules jaûnes ou de couleur de rose & ornées de bandes d'un noir velouté, s'atache une petite mouche grise à tête rouge du genre des Ichneumons, qui dépose ses œufs & les colle sur le corps de la chenille ; que lorsque les vers sont éclos, ils percent la chenille & s'introduisent dans son corps pour se nourir de sa substance, & que par-là l'atente des curieux qui les élevent est souvent trompée.
Cette observation sert non seulement à apuier ce que dit M. de Bomare, mais encore à prouver que non seulement l'espece de mouche dont il s'agit dépose les œufs sur la chenille à tubercules jaûnes ou de couleur de rose, mais encore sur celle à boutons étoilés d'un bleu de turquoise, qui est la premier espece, & dont la chrisalide passe quelquefois deux hivers renfermée dans la coque sans se changer en papillon. Ceci m'avoit fort surpris, ne pouvant pas m'imaginer comment cet insecte pouvoit rester aussi long-temps en vie & sans prendre de nourriture dans un pareil état. J'ai eu encore depuis une nouvele preuve de cette possibilité. Au mois d'Août 1774, on m'apporta une semblable chenille ; elle fit sa coque ; n'en voyant point sortir de papillon l'année suivante, je l'ouvris, j'y trouvai la chrisalide parfaitement saine & vivante. Elle est encore aujourd'hui dans le même état.
Affiches du Poitou, n° 16, du 18 avril 1776, page 62
Commentaire : Méticuleuse observation de la nature, au Siècle des Lumières. Cet article montre qu'un siècle avant Pasteur, on commençait à douter de la génération spontanée.
Le blé à l'arsenic
De Leigne, près Châtelleraud, 18 Mars.
Il vient d'ariver dans ce bourg un accident qu'il est bon de faire connoitre, afin qu'il serve de leçon aux gens qui manquent de prudence. Un particulier, incommodé par les rats dans sa maison, a mis sur une tuile de l'arsenic en poudre mêlé avec de la farine, dans son grenier, pour les détruire. Il y avoit dans ce grenier des fenêtres ouvertes ; le vent, sans qu'on s'en soit aperçu, a répandu cet arsenic sur un tas de froment, qui étoit dans ce grenier. Le propriétaire a vendu deux boisseaux de ce froment à un sien voisin, qui l'ayant mêlé avec d'autre grain l'a fait moudre & a fait faire du pain de cette farine, toute sa famille & lui en ont mangé ; aussi-tôt après le premier repas, ils ont tous senti un feu dévorant dans les entrailles, une sueur froide sur le front, leur visage & leur corps se sont enflés prodigieusement, & ils ont tous vomi avec des éforts pénibles & douloureux. J'ai été averti de leur état & j'ai volé à leur secours ; je leur aifait prendre l'émétique, boire de l'oxicrat (de l'eau mêlée avec du vinaigre) & leur ai prescrit ensuite l'usage des stomachiques & des anodin que j'ai trouvés dans une boîte de remedes, que M. le Subdélégué m'a adressée pour le soulagement des pauvres de ma paroisse. Le succès a parfaitement répondu à mes soins, les malades ont recouvré la santé. Le poison étoit si violent, que deux chiens qui ont mangé ce même pain, sont morts presque sur le champs. Après avoir fait l'office de Médecin, j'ai fait celui de Juge ; je me suis fait apporter ce qui restoitde ce pain, je l'ai fait brûler publiquement, & ai condamné l'imprudent à payer aux malades le blé qu'il leur avoit vendu. (Signé, l'Abbé de la Haye, Docteur Médecin, Prieur & Curé de Leigne.)
Affiches du Poitou, n° 16, du 18 avril 1776, page 62
Le pain de patate
De Vivône.
« Je vous dirai pourtant, M., que mal-gré la derniere manipulation qui a rendu à MM. Parmentier & Cadet de très-beau pain avec de l'amydon de patates & des patates dans leur état naturel, je penserai toujours que la grande économie sur cet article ne gît pas dans cet alliage. Cela est bien beau & plus extraordinaire ; mais l'amydon coûtera toujours beaucoup à tirer. Il faut beaucoup de patates, car une livre ne rend gueres qu'un huitieme d'amydon ; d'ailleurs cela est long, difficile & emporte un temps qui équivaut presque au prix du pain ordinaire. Mais en mettant plus ou moins de farine, telle qu'elle soit, avec des pommes de terre pêtries tout simplement, vous ferez une pain plus ou moins bon & qui sera véritablement économique. Vous pourez en juger par l'échantillon que je vous envoie ; il y aura demain 8 jours qu'il est cuit ; ce pain est excellent & très-savoureux, tout le monde en est enchanté, on l'a préféré chez moi au plus beau pain de boulange ; il y a pourtant moitié pommes de terre. Il y a aussi une chose à observer, c'est qu'il faut pétrir très-fort & que la pâte soit dure. Le pain aussi réussira beaucoup mieux & sera mieux levé, si lors du mélange avec la farine & lorsqu'on les pétrira ensemble, la pâte de pommes de terre est encore chaude, ce qui doit faire préférer ce parti à celui de les faire sécher & pulvériser, quoique par ce dernier moyen la manipulation puisse être & plus abondante & plus facile. »
Le morceau de pain dont il est question dans cette lettre, quoique fait depuis 10 jours lorsque nous l'avons reçu, étoit encore aussi frais que pouroit l'être du pain de seigle fait depuis 24 heures. Nous l'avons fait goûter à plusieurs persones qui l'ont trouvé très-bon. On fait aussi beaucoup de ce pain dans les environs de Sivray, d'où on nous en a envoyé ; nous en avons parlé autrefois. La manière de le faire est indiquée dans notre feuille du 13 Juillet 1775 ; elle nous fut adressée par M. de Scévole, d'Argenton en Berry. Le sieur Taffet, Me Boulanger à Poitiers, la connoit parfaitement. Sur la maniere de faire l'amydon, voy. Lettre de M. Gallot, Aff. du 26 Février 1778.
Affiches du Poitou, n° 13, du 1 Avril 1779, page 50
Corsaire
De St Gilles sur-Vie, 26 Mars.
Un Corsaire Anglois alarme depuis quelques jours nos côtes de bas Poitou. Il s'est emparé, le 24, au matin & à notre vue, d'une barque sortie de ce Port. Il l'a coulé & à renvoyé sur le champ dans son Canot, le Patron & son équipage, qui ont raporté que ce Corsaire est monté par une quarantaine d'hommes & armé de 16 canons. Heureusement la cargaison de cette barque étoit de peu de valeur ; mais ces barques sont toute la fortune de la plupart de nos Mariniers. Une autre barque, sortie deux heures après celle-ci, fut également poursuivie, & s'échapa avec peine, & rentra, la faveur de quelques coups de canon que nos Officiers Mariniers, qui se rendirent à la hâte à la baterie, tirerent sur le Corsaire, quoiqu'ils ne l'atteignirent pas, à cause de l'éloignement ; mais cela lui en imposa. La barque enlevée par lui est la Syrene du nord, de Noirmoutiers, Capitaine Blanchard. Celle qui s'est sauvée, est le Cheval Marin, de St-Gilles, Capitaine Lorteau. Le même Corsaire fit échouer le même jour, près la Sauzaye, paroisse de Bretignolle, à 1 lieue & demie d'ici, une petite barque chargée de futailles vides. Il envoya la chaloupe bien armée pour l'enlever ; mais il se présenta du monde à la côte, on tira sur elle & elle se retira. Il s'empara sur le soir d'un Chasse-Marée, qui paroissoit venir des Couraux. Dans la nuit du 23 au 25, on a entendu quelques coups de canon. C'est vraisemblablement encore quelque prise qu'il a faite. On le distinguoit encore hier à environ 2 lieues d'ici. Nous aurions grand besoin que quelque Frégate ou Chaloupe canoniere se montrât dans ces parages, où il paroit avoir établi sa croisiere, afin de l'éloigner. Sa présence interrompt notre navigation. Tous les Caboteurs & Pêcheurs n'osent plus sortir ; cette situation est fâcheuse.
Affiches du Poitou, n° 15, du 13 Avril 1780, page 58
Invasion de chenilles
De Niort, 1 Avril.
Vous savez, M., que quelquefois après une pluie, on voit la terre couverte de petits crapaux, de petits limaçons, ou autres insectes. Ce phénomene n'étone plus. Nous en avons vu un de la même espece, ce matin en cette Ville, qui n'étone pas davantage, parce qu'il est produit par la même cause, mais il inquiete. Il est tombé une quantité extraordinaire de chenilles communes, longues comme une petite épingle, & de moyene grôsseur à proportion, c'est-à-dire, à peu près à la moitié de leur grôsseur naturele. Il étoit six heures du matin, lorsque je m'en suis apreçu. J'ai parcouru plusieurs rues ; j'en ai vu par-tout ; on peut dire que la Ville en étoit couverte. Tous les murs exterieurs en étoient garnis. Je n'exagere point en disant qu'il y en avoit au moins 3 à 4 dans l'espace d'un pied carré ; & je ne doute point qu'il n'y en eût davantage sur les toits des maisons. Voilà donc déjà une nombreuse génération de ces insectes qui nous menace dès le commencement du printemps. Il en sera tombé la mêm abondance dans les campagnes où elles seront plus nuisibles. Il n'y a plus d'espérance que celes-ci périssent. La longueur & la rigueur de l'hiver n'a presque rien fait à celles de l'année derniere qui l'ont passé dans leurs toiles. Elles commencent à éclore dans nos champs & nos jardins. Elles dévoreront encore nos fruits & les feuilles de nos arbres. Je crains sur-tout pour nos bestiaux dans les pâturages. Ce fleau nous poursuit depuis quelques années avec bien de la tenacité.
Affiches du Poitou, n° 15, du 13 Avril 1780, page 58
L'horloge de Poitiers
Utilité offerte aux habitans de Poitiers.
Persone ne contest la nécessité des horloges, & combien il est utile & agréable de les multiplier dans les Villes. Il y en avoit une autrefois sur le portail de l'Eglise des RR. Augustins, vis-àvis la Place Royale, que je ne sais quelles circonstances ont laissé tomber en ruine. Elle ne pouvoit être mieux placée. C'étoit l'horloge du quatier, & on pouroit dire de la Ville, dans cette place fait à peu près le centre, & est un lieu de promenade très-fréquenté par le peuple, surtout les Fêtes & Dimanches. Une horloge dans un quartier, regle l'heure des travaux, des repas, du lever, du coucher, annonce celle des Offices Divins. L'horloges des Augustins seroit encore très utiles aux Troupes, dont le corps de garde principal est de l'autre côté de la Place, sur laquelle elles s'assemblent tout les jours pour leurs différens exercices ; une fois par jour vers midi pour ce qu'on appele la Parade ; & le soir il y a une heure précise pour batre la retraite. En rétablissant cette horloge, elles ne seront plus obligées de prêter l'oreille au son d'un timbre éloigné, dans les differentes circonstances & lorsqu'il s'agira de monter & de descendre les gardes. Ces differentes considérations d'utilité générale & d'agrément public, ont déterminé les RR. Augustins, sollicités depuis long-temps par les habitans des environs de la place, à faire rétablir cette horloge ; & s'ils ont tardé à céder à cette sollicitation, c'est parce qu'ils ne sont pas en état d'en faire seuls les frais. Ils ont délibéré d'y contribuer pour un tiers, dans l'espoir que le public voudra bien faire le reste. Plusieurs bons Citoyens ont déjà suscrit. Le devis de l'ouvrage a été dressé. La dépense sera en totalité de six cent livres. Joseph Charles, le jeune, Maître Couvreur, en cette Ville, en est l'entrepreneur. Il va commencer ce travail & promet qu'il sera fini à la St Jean prochaine, autant néanmoins que le montant de la souscription sera rempli. Les Souscripteurs pouront être regardés comme des bienfaiteurs de la Ville. Ce titre fait le motif de l'exhortation qu'on leur présente. On tiendra un registre exact, dans lequel on ecrira sous leurs ieux, leurs noms & le montant de leur contribution volontaire. On en fera même, s'ils le désirent, imprimer la liste, dont il sera remis un exemplaire à chacun, tans pour rendre hommage à leur générosité, que pour donner des preuves de la fidélité & de la reconoissance des RR. Augustins.
Affiches du Poitou, n° 15, du 13 Avril 1780, page 58