Ce nom, comme celui de DEZ, est incontournable, si nous voulons poursuivre nos recherches généalogiques en ce Poitou protestant. Cet homme, n'était pas un pasteur du désert, ni un pasteur du XIXème, comme le pensent souvent ceux qui entendent parler de lui, avec respect, pour la première fois. Cet homme était, bel et bien, un pasteur poitevin du XXème siècle !
Il est né le 2 avril 1904 à Exoudun/79 où son père était lui-même pasteur. Exoudun/Bagnault où les dragons du Roi firent tant de ravages en 1681, si inoubliables que chaque touriste, flânant dans cette campagne peut lire encore aujourd'hui, cette inscription, gravée sur une pierre calcaire au-dessus d'une porte : « Les dragons d'orléan …ont arrivé icy ».
Il fut pasteur de 1927 à 1937 à Chey/79, encore un "bastion" protestant à quelques kilomètres de distance de son lieu de naissance. Ensuite il exerca son ministère en région parisienne, à Sèvres-Bellevue, de 1937 à 1942, non loin des Archives Nationales...Puis de 1942 à 1963 au temple, rue des Ecossais, à Poitiers. En fin de cette période j'ai eu la chance de le rencontrer. Enfin à Rouillé/86 de 1963 à 1967. A sa retraite, il vint vivre à la Mothe-St -Héray/79 où il mourût le 3 février 1993.
A l'époque de nos rencontres dominicales j'avais 10 ou 12 ans. De lui, je m'en souviens comme d'un homme de taille moyenne, généralement habillé de vêtements gris, toujours tristes à mon goût ; aux cheveux très noirs mais grisonnants cependant sur les tempes. La couleur de ses yeux, ma mémoire l'a oubliée, sauf ses sourcils très foncés.
Le souvenir suggestif que je conserve de lui correspond à un homme au visage sérieux et sévère, d'un homme que je respectais, que je craignais un peu, dès que je le voyais. Il incorporait « l'inconnu », « l'inexploré ». Pourtant, j'ai aussi le souvenir d'une voix basse et très douce, me permettant de reprendre confiance dès qu'il parlait, d'un sourire toujours discret, surtout quand il écoutait attentivement son interlocuteur. J'ai le souvenir d'un homme qui devait tout savoir, prenant toujours le temps d'écouter, de raconter ou d'expliquer, le souvenir aussi d'une personne très tolérante, d'une personne exaltant un calme serein..
Début des années 60, tous les dimanches après-midi, il venait nous chercher, ma soeur et moi, à La Villedieu-du -Clain/86 et il nous emmenait à ce que j'appelais mon « catéchisme » du dimanche, dans une ferme aux Molles, près de Vernon/86 où habitait une famille protestante dont le nom m'échappe aujourd'hui. Je revois bien cette grande maison, avec une grande pièce où nous nous asseyions sagement sur des bancs de bois de chaque côté d'une longue et grande table traditionnelle des campagnes poitevines, devant une grande cheminée. A chaque fois, tout m'apparaissait immense et étranger : la pièce, les nombreux enfants de cette famille qui savaient si bien chanter des psaumes.
Moi, enfant d'un père catholique et d'une mère protestante, baptisée protestante, j'avais tout à comprendre et à apprendre.. à retardement. Je devais surtout accompagner ma soeur préparant sa confirmation.
Chaque dimanche, en bout de table, le pasteur Rivierre (ou parfois un membre de cette famille, ou d'autres protestants qui assistaient aussi), lisait un passage de la Bible qui était ensuite commenté. Des psaumes étaient chantés et des prières étaient dites. Tout se terminait, avec moins de rigidité, par des approches et des échanges presque anodins, en buvant une tasse de thé. Tous ces dimanches m'apparaissent encore comme un monde « à part » par rapport à la vie de mes camarades catholiques allant chaque jeudi au catéchisme à la cure, juste en face de chez moi. Le jeudi, ces amis étaient exclus de ma vie, et le dimanche, ils étaient exclus de la mienne.. Le curé Lemailleu, cependant, m'invita à assister à son catéchisme, si je le voulais bien.. Combien de fois ai-je repensé à ces dimanches en lisant, bien plus
tard, les textes du Pasteur Rivierre donnant des détails précieux sur mes ancêtres au temps du désert ?
Combien de fois me suis-je surprise à associer ces dimanches vécus avec le pasteur Rivierre avec les assemblées clandestines de mes ancêtres autour d'un proposant, ou simplement entre parents et amis de même croyance ? Combien de fois, me suis-je dit, que je devrais avoir honte de faire la comparaison ! Ce temps-là et mon temps ne sont absolument pas comparables.. et pourtant, je faisais partie toujours partie d'une minorité mal comprise..
Combien de fois, depuis, ai-je aussi regretté, avoir été beaucoup trop jeune, pour comprendre plus, et mieux cet homme, qui déjà, en ce temps-là, faisait un travail considérable qu'à l'époque je n'aurais pu comprendre, je crois, s'il m'avait été présenté sous les yeux.
Je n'oublierais jamais non plus le jour, où j'ai osé dire au pasteur Rivierre, devant mes parents perplexes (j'avais tout au plus 13 ans !) que je ne ferais pas ma confirmation comme ma soeur voulait la faire et qu'en conséquence je ne voulais pas continuer les heures de prédications du dimanche. Me demandant alors quelles raisons précises m'amenaient à cette conclusion, dans mon langage simple d'enfant, je lui expliquais donc que parfois je suivais le catéchisme de mes amies où la Vierge Marie avait son importance, alors que le dimanche elle n'existait pas, etc.. qu'au bout du compte des différences, je ne croyais pas en ce Dieu que les uns vouvoyaient et les autres tutoyaient , et que je ne voulais en aucun cas jouer un jeu hypocrite uniquement pour recevoir des cadeaux.
Sa réponse, aujourd'hui encore présente, le restera toujours, en ces quelques mots : « je pourrais tant te dire pour te convaincre…, j'accepte ta position actuelle mais espère qu'un jour, pour tes vingt ans peut-être, tu sauras te retrouver, me retrouver.. et tu seras alors la bienvenue »
A vingt ans, je ne croyais guère plus en Dieu qu'à l'époque, je ne voyais plus le Pasteur Rivierre, mais je repris contact avec le curé Lemailleu, entre temps curé de Couhé, qui m'aida dans sa conviction de l'oecuménisme .
Quelques années plus tard, je me suis mariée au temple de Poitiers, sans avoir fait ou besoin de faire ma confirmation.. …….pourquoi ? Puis je suis partie de Poitiers en terrain presque inconnu en emportant dans mes bagages un petit bougeoir, offert. il y a longtemps par le pasteur Rivierre, le dernier dimanche de l'Avent. Ce bougeoir toujours présent, alors que le pasteur Rivierre n'est plus.. Ce bougeoir reste avant tout, pour moi, le symbole, la preuve que je suis une fille du Poitou et de son histoire.
Le pasteur Rivierre nous a laissé une oeuvre remarquable :
1° Un Livre d'or ou « Dictionnaire des familles protestantes » : 14 volumes de 6300 pages grand format, écrites à la main.
Ce manuscrit est consultable aux AD de Niort, aux AD de Poitiers, à Paris, rue des Saints Pères (Histoire du Protestantisme français) mais aussi à La Maison du Protestantisme à la Couarde /79 en pleine campagne huguenote d'antan (seul endroit où il est possible d'en faire des photocopies).
Voici un extrait d'une page de ce livre d'or avec la belle écriture régulière de Jean Rivierre :
2° La vie des protestants du Poitou après la Révocation (1685-1700), livre publié par La Société Historique et Scientifique des Deux-Sèvres (tome I en 1673, tome 2 en 1677), et réédité par la même société en 1997, rassemblant les deux tomes.
Un travail de maître, certainement pas entièrement neutre, mais soucieux de la recherche approfondie (sources : registres pastoraux mais aussi Archives Nationales, Archives Départementales administratives et judiciaires du 79 et 86), un travail d'historien.
La lecture de ce livre est indispensable pour mieux comprendre la période du désert en Poitou, pour mieux comprendre aussi les difficultés de recherches généalogiques protestantes (le renvoi aux sources des Archives est toujours une nouvelle piste à tenter soi-même).
à photo (la coiffe des pasteurs poitevins /XVIIÈ)
3°Le procès du prédicant TRAVER. (bulletin de la Société de l'Histoire du Protestantisme/1985)
Une multitude de renseignements, de sources, de détails sur la vie des protestants poitevins y attendent tous les curieux à la recherche de leurs ancêtres et de l'histoire du Poitou protestant.
Sans le travail minutieux du pasteur Rivierre, les sombres années du désert poitevin seraient restées sans lumière.
© juillet 2004 Roselyne SKOTT