Jolly, Pierre-Henri (1781-1848)

Nécrologie des maires de Poitiers

On lit dans les Affiches, annonces et avis divers de Poitiers, n°71, du mardi 13 juin 1848


Samedi dernier ont eu lieu les obsèques de M. Jolly, membre de la Légion d'Honneur, avocat à la cour d'appel, ancien avoué, ancien membre du conseil général de la Vienne, et ancien maire de Poitiers. L'ordre des avocats, M. le maire de la ville, accompagné de ses adjoints et du conseil municipal, un grand nombre de fonctionnaires et de citoyens de toutes les conditions, assistaient à cette cérémonie. Les coins du poêle étaient portés par MM. Fey, bâtonnier de l'ordre des avocats près la cour d'appel, Calmeil, avocat, membre de la Légion d'Honneur et du Conseil général de la Vienne ; Bouillé jeune, avoué près la cour d'appel, et Durand père, ancien avoué au tribunal de première instance. Le deuil était conduit par M. Orillard, maire de la ville.


M. Fey, bâtonnier de l'ordre des avocats, a retracé brièvement la vie de M. Jolly. Il s'est exprimé en ces termes :

Messieurs,
L'année dernière un triste devoir nous réunissait autour du cercueil d'un jeune confrère trop tôt enlevé à l'affection et aux espérances du barreau. Aujourd'hui la mort vient encore éclaircir nos rangs : elle a frappé M. Pierre-Henri Jolly.
Avant que la tombe se referme sur sa dépouille mortelle, permettez-moi, Messieurs, d'être l'interprète des sentiments douloureux que ce cruel évènement inspire à notre ordre : il est des hommes dont on ne saurait se séparer sans émotion et sans regrets : M. Jolly était de ce nombre.
Sa vie entière a été consacrée au travail ; il a exécuté cette loi providentielle d'après laquelle tout homme doit travailler dans le mesure du pouvoir qu'il lui a été départi.
Après avoir terminé des études classiques qui ne furent pas sans succès, M. Jolly se voua à la science des lois, et obtint en l'an II le diplôme de licencié en droit. Quelques temps après, il essaya ses forces et fit ses premières armes au palais. La netteté de ses discussions, le soin consciencieux qu'il apportait à l'examen des affaires qui lui étaient confiées, lui avaient concilié l'estime et mérité les encouragements des hommes placés à la tête du barreau ; mais, après un exercice de quatre années, il renonça à la plaidoirie pour occuper une chargé d'avoué.
Cette profession est plus modeste que la nôtre, parce que, se renfermant dans le silence d'une étude, elle ne met pas en évidence celui qui l'exerce ; mais, il faut le reconnaître, elle aussi a ses difficultés, et par conséquent son mérite. N'exige-t-elle pas en effet une grande rectitude de jugement, un coup d'oeil sûr, des travaux souvent arides ? Que de fois une fausse direction imprimée à la marche d'un procès a compromis le droit le mieux établi !
M. Jolly offrait l'ensemble de toutes les qualités qui rendent un homme d'affaires recommandable. Intelligent, laborieux, éclairé, il se dévouait tout entier aux devoirs et aux exigences de sa profession. Les intérêts de ses clients devenaient en quelque sorte les siens propres. Pendant le cours de sa longue carrière, son zèle ne se démentit pas plus que sa probité et sa délicatesse. Voilà par quels procédés honorables M. Jolly sut conquérir l'estime publique et la confiance des magistrats.
Que ces titres sont respectables, Messieurs, et combien ne devaient-ils pas recommander M. Jolly aux suffrages de ses concitoyens ! Aussi lorsque, grâce aux développements de nos libertés politiques, chaque commune conquit le droit précieux de nommer elle-même ses conseils municipaux, le nom de M. Jolly fut-il un des premiers qui sortit de l'urne électorale. L'homme qui depuis de longues années défendait avec autant d'intelligence que de zèle les intérêts particuliers,, n'avait-il pas, en quelque sorte, sa place marquée parmi les membres d'un corps, dans le sein duquel les intérêts d'une cité populeuse allaient se discuter et se débattre ?
Trois ans après, en 1834, ce n'était plus seulement la confiance de la commune de Poitiers, c'était celle du canton tout entier qui l'appelait à de nouvelles fonctions : il était élu membre du conseil général. Il remplit ces fonctions jusqu'en 1843, et dans les nombreuses sessions auxquelles il prit part toutes ses pensées eurent pour objet l'accroissement de la prospérité agricole et commerciale du département.
En 1838, il cessa de postuler comme avoué devant la cour d'appel. L'affaiblissement de sa santé, occasionné moins par le nombre des années que par l'énervante continuité de 32 ans de travaux, lui fit comprendre que l'heure de la retraite avait sonné pour lui. Il transmit à son fils aîné, avec sa charge, les traditions de loyauté et de délicatesse qui avaient honoré sa carrière.
Cette détermination ne donna cependant pas à M. Jolly le repos qu'elle semblait lui promettre. — La ville réclama ses services, et ne les réclama pas en vain. Les circonstances étaient difficiles ; mais les difficultés ne l'arrêtèrent pas. La prudence lui commandait peut-être de s'abstenir, mais il n'écouta ni les calculs d'une prudence trop pusillanime, ni ceux de l'intérêt personnel. Ne prenant conseil que de son patriotisme et de son dévouement, il accepta les fonctions de maire, fonctions toujours pénibles, toujours délicates, et dont les fatigues ne trouvent leur récompense que dans la conscience d'avoir accompli un devoir. Son administration n'a point été du nombre de celles qui ne laissent après elle aucune trace durable. N'est-ce pas pendant cinq ans de son éligibilité qu'ont été achevés ou exécutés des établissements dont la ville apprécie chaque jour l'utilité et les avantages ?
Il trouva dans le sein du conseil des adversaires, mais il n'y rencontra pas d'ennemis ; et si quelques-unes des mesures qu'il proposa soulevèrent des contradictions, du moins s'empressa-t-on toujours de rendre justice à la droiture de ses intentions, à la loyauté de sa pensée.
Ai-je besoin de vous rappeler, Messieurs, quelle activité il déploya durant tout le cours de son administration ? Il n'y avait pas de détail assez petit pour être indigne de son attention, pas de rouage administratif dont il ne dirigeât ou ne surveillât la marche. Son consciencieux patriotisme avait réveillé en lui toute l'activité de la jeunesse. Aussi le gouvernement le récompensa-t-il en lui envoyant la croix d'honneur.
Ce fut en 1843 qu'il cessa d'administrer la ville, pour rentrer dans le calme de la vie privée. L'ordre des avocats, auquel il s'honorait d'avoir autrefois appartenu, lui ouvrit ses rangs, et, sur sa demande, son nom figura une deuxième fois sur le tableau.
Mais chaque jour sa santé dépérissait et déjà il portait dans son sein le germe de la maladie si longue et si douloureuse qui l'a conduit au tombeau.
Il vient de succomber, Messieurs : ses enfants perdent en lui le plus tendre des pères ; ses concitoyens regrettent l'homme de bien, l'administrateur intègre et impartial ; notre ordre, un confrère digne de respect.
Puissent ces quelques paroles que je viens de prononcer acquitter notre dette envers sa mémoire ! Puissent-elles surtout adoucir l'amertume des regrets et de la douleur qu'inspire à sa famille le cruel évènement qui l'enlève à sa tendresse !