Mais aussi comme « étranger » et comme « Ernest ».
Un gentilhomme hollandais
Ernest Philippe comte de Morlot, libre baron du St-Empire et comte d'Offenberg et d'autres lieux est peu connu des Poitevins et pourtant il a passé une partie de sa vie aventureuse à Poitiers et au château du Plessis à Ayron. Né à La Haye vers 1625, ce gentilhomme hollandais est le fils d'un officier de la maison d'Orange-Nassau et de la République des Provinces-Unies dont la famille d'origine huguenote et franc-comtoise est passée en Suisse puis en Hollande au 16e siècle. Il semble que le Comte de Morlot arrive en France dans les années 1640 pour servir les intérêts du Prince d'Orange auprès de la Cour de France.
David, Comte de Morlot, père d'Ernest
De hautes relations
Le 29 avril 1647, le Comte de Morlot passe un contrat de mariage à Paris avec une Poitevine. Le contrat rédigé à St-Germain-des-Prés chez un prince écossais est ensuite porté au Louvre pour y être signé par Henriette-Marie reine de Grande-Bretagne et son fils le Prince de Galles, ce qui montre l'importance des relations anglaises de ce serviteur de la maison d'Orange-Nassau. Pendant son séjour à Paris, Ernest devient aussi l'ami des frères Filleau de Poitiers, c'est-à-dire de Jean Filleau de la Chaise, l'historien janséniste avec qui il partagera son logis à Paris, et de François de Saint-Martin, le traducteur de Don Quichotte, ceux-ci étant parents de sa femme. Le cercle poitevin du Comte de Morlot s'élargit encore avec sa fréquentation du Chevalier de Méré, l'énigmatique « honneste homme » de Beaussais et surtout du Duc de Roannez, le gouverneur du Poitou chez qui Morlot rencontre Blaise Pascal. Rappelons que le Duc de Roannez est aussi, pour les Poitevins, Artus Gouffier, le seigneur du château d'Oiron. Enfin, Morlot sert d'intermédiaire entre ses amis français et son compatriote Huygens, le célèbre savant intéressé par la machine d'arithmétique de Pascal.
La famille poitevine du Comte de Morlot
Gabrielle, l'épouse du Comte de Morlot, est la fille de Pierre Mourault sieur de la Vacherie conseiller du Roi en sa cour du Parlement de Paris et de Jeanne Boynet. Elle est baptisée à Poitiers le 7 août 1620 dans l'église disparue de Notre-Dame-la-Petite et restera catholique à sa manière malgré son mariage avec un protestant. D'ailleurs, les enfants du couple naissent dans la RPR avant de rejoindre des années plus tard l'église catholique apostolique et romaine. Jeanne-Marie, l'aînée née en Hollande en 1648 est baptisée à Poitiers le 28 juillet 1654 en même temps que son petit frère Etienne David Philippe, futur comte de Malines et de Morlot, qui lui était né à Poitiers en 1650. Peu de temps après sa conversion, Jeanne-Marie est marraine à Ayron de Jean Baptiste Gabriel, fils de mes ancêtres Nicolas Parent sieur de Portebure et de Jeanne D'Ayron, ce qui est la plus ancienne preuve de la présence de la famille sur les bords de la Vandelogne. Les Morlot qui font des allers-retours entre la France et la Hollande ont deux autres enfants, Catherine-Charlotte et Jean le chevalier de Morlot dont on trouve peu de traces en Poitou. L'un des fils Morlot est sans doute le père de Jean de Morlot baptisé à l'âgé de 12 ans en 1685 par le curé d'Ayron, après qu'un petit Louis, fils de Jean de Morlot, a été enterré dans la même paroisse en 1683. Les Morlot ont donc habité leur domaine du Plessis d'Ayron pendant une trentaine d'années recevant tous les hommages dus à leur rang et fréquentant leurs voisins : les Jouslard, seigneurs d'Ayron. Le vieux protestant Ernest de Morlot est même le parrain de la cloche de l'église d'Ayron en 1679.
Le Plessis d'Ayron
L'affaire «Morlot»
De 1672 à 1674, pendant la Guerre de Hollande, le Comte de Morlot devenu suspect est enfermé au château de Saumur. Après sa libération, il reprend ses va-et-vient entre le Poitou, Paris et la Hollande et entretient des relations avec des individus louches comme les demoiselles Cutin chez qui il se rend travesti alors qu'il est interdit de séjour à Paris. Le 5 novembre 1684, Morlot, accusé d'être un espion pour le compte de la Hollande est envoyé à la Bastille. Le commissaire Gazon résume ainsi les chefs d'accusation : « Le Comte de Morlot principal est accusé en cette affaire et soupçonné d'avoir machiné plusieurs intrigues en Hollande avec le prince d'Orange, en faisant plusieurs voyages d'Hollande à Paris et par des lettres qu'il faisait circuler et dont il déguisait la signature en empruntant un autre nom pour mieux couvrir son détestable projet de faire mourir le Roy ; et pour le mieux faire réussir cependant il ne convint pas dans ses interrogatoires du crime qu'on lui impose. »
Treize années à la Bastille
Ernest Comte de Morlot va passer treize ans en prison jusqu'au Traité de Ryswick en 1687. On raconte que Morlot ne partit qu'à regret de la Bastille tant il était heureux d'y vivre aux frais du roi. Cette attitude étrange peut être à l'origine de l'idée répandue selon laquelle la Bastille était une résidence pas si désagréable que cela. À sa libération, le Comte rejoint le Duché de Clèves où sa famille s'était établie pendant sa détention, leurs biens du Poitou ayant été saisis.
Le départ des Morlot
Quelques années plus tard, Charlotte de Morlot tentera de faire valoir ses droits sur ses domaines du Plessis et du Sault en la paroisse de Louzy, près de Thouars, mais sans y parvenir bien qu'elle donnât la preuve qu'elle était sortie du royaume légalement pour secourir et assister sa mère malade. Les Morlot ne reviendront plus en Poitou. Quant à leur fidèle maître d'hôtel flamand, Wauthier De Roy, qui a laissé sa signature dans les registres d'Ayron et Cramard, il quitte aussi le Poitou vers 1660 pour occuper la charge de capitaine du Grand-Pressigny en Touraine.
Sources :
- Archives départementales de la Vienne
- Archives de la Bastille
- Jean Mesnard, Pascal et les Roannez
- Journal des principales audiences du Parlement