Les maçons de la Creuse en Poitou
Ce sont les premiers travailleurs immigrés venus en masse des terroirs pauvres du Limousin. On sait qu'ils ont construit Paris, Versailles, Lyon, les digues de la Rochelle pendant le siège, le Rochefort de Colbert et qu'ils étaient déjà sur le chantier de Notre-Dame-de-Paris. On sait moins qu'en Poitou ils ont aussi édifié nos fermes et nos granges et restauré nos églises et nos châteaux. Il suffit d'ouvrir une liasse de notaire ou un registre paroissial pour trouver des contrats de « maçonne » et des mariages ou des décès de maçons de la Haute Marche en Bourbonnais. Le long mouvement des maçons de la Creuse qui remonte sans doute au Moyen Âge et durera jusqu'à la Première Guerre mondiale concerne aussi notre région. Ces maçons constituent d'ailleurs les plus gros effectifs d'« étrangers » dans nos villages devant d'autres métiers itinérants comme les chaudronniers du Cézallier, les scieurs de long du Forez et les charbonniers du Maine.
Une vie difficile
Partant à la belle saison, les maçons-laboureurs laissaient les femmes seules aux moissons et ne revenaient qu'à l'automne suivant un mouvement immuable pendant des siècles. Dans les villages de Haute Marche, les mariages avaient toujours lieu en hiver car les hommes travaillaient au loin l'été. Malgré la migration, les liens du sang et de solidarité restent solides dans les petites communautés villageoises du Limousin qui vivent largement des gains des maçons. La vie de ces « pauvres parias de la Creuse » est aussi dure et dangereuse et beaucoup de maçons se blessent ou se tuent sur les chantiers. Dans ses « Mémoires de Léonard », le fameux député-maçon Martin Nadaud qui a vécu le moment de plus forte migration des Creusois au milieu du 19e siècle rend hommage à ces travailleurs du bâtiment dont il a fait partie dans sa jeunesse. Ce qu'il raconte de l'existence des maçons de la Creuse de son temps vaut aussi pour les siècles précédents.
Les maçons en Haut-Poitou
Les maçons et tailleurs de pierre qui travaillaient en Poitou venaient pour la plupart du même petit coin de la Haute-Marche correspondant grosso modo aux cantons actuels d'Ahun et de St-Sulpice-les-Champs au centre du département de la Creuse. Ces « Bigaros », comme on les surnommait, ont emprunté pendant des générations les mêmes chemins du Poitou où on les retrouve partout. Munis de leur certificat de célibat, beaucoup de ces hommes se sont mariés et établis chez nous, ces unions constituant la plus grande part des mariages exogames hors des villes. C'est pourquoi les généalogistes poitevins finissent toujours par découvrir un ou plusieurs ancêtres maçons de la Creuse, (j'en ai quatre ou cinq). Dans le cas d'un mariage avec une métayère poitevine, notre maçon passait en général chez le notaire pour céder ses biens à un compagnon et troquait la truelle pour la charrue.
Croix hausanière du cimetière de St-Pardoux-en-Gâtine taillée par le maçon de la Creuse Etienne Valleron en 1744
Quelques maçons de la Creuse travaillant dans la Vienne
La plupart des maçons présents en Haut-Poitou viennent de la Haute-Marche en Bourbonnais. D'autres sont originaires de la Basse-Marche (la région du Dorat) qui est limitrophe de notre région. Voici quelques maçons de la Creuse qui ont travaillé et parfois sont restés en Haut-Poitou.
Nom | Paroisse d'origine | Lieu des chantiers / Paroisse d'installation | Période |
AUCLAIR Joseph | Fransèches | Doussay | 1849 |
BATHEROSSE Pierre | St-Sulpice-les-Champs | Poitiers (Monbernage), | 1640, 1642, 1657 |
BESSON Léonard | Haute-Marche | Moncontour | 1613 |
BIGUE François | St-Martial-le-Mont | Poitiers | 1669 |
BORD Antoine | Ahun | Curzay-sur-Vonne | 1710 |
BRUN Jean | Ahun | Curzay-sur-Vonne | 1672 |
CASSERON Robert | Haute-Marche | Poitiers | 1689 |
CHANARD Léonard | St-Sulpice-les-Champs | Mirebeau | 1676 |
CHANSSARD Léonard | Vidaillat | Poitiers | 1645 |
CHAUMANET Martial | Moutier-d'Ahun | Poitiers | 1635 |
CONCHON François, Jacques, Jean, Gilles, Antoine, Louis, Léonard | Le Donzeil, Sous-Parsat | Poitiers, Vouillé, Quinçay, Pleumartin, St-Benoît | 1642, 1708,1739 1749, 1751, 1783 |
DANIVEAUX Léonard | St-Michel-de-Veisse | Moncontour | 1607 |
DAUVIGNE Léonard | St-Michel-de-Veisse | Poitiers | 1650 |
DE BUGEAT Léonard | St-Avit-le-Pauvre | Poitiers | 1681 |
DUPEYRON Léonard | Haute-Marche | Moncontour | 1613 |
DUTOUR Pierre, Léonard | St-Avit-le-Pauvre | Montgauguier, Champigny-le-Sec | 1666, 1678 |
GALLAND François | Sardent | Poitiers | 1587 |
GERBE Pierre | Fransèches | Mirebeau | 1672 |
GUILLON François, Antoine, Léonard | Le Donzeil, St-Sulpice-les-Champs | Montamisé, Poitiers, Mirebeau | 1629, 1651, 1676 |
GUY Sulpice | Vareilles | Poitiers | 1638 |
JORANT Gilles | Haute-Marche | Poitiers | 1637 |
LABRAUD Guy, Léonard | St-Georges-de-la-Pouge, St-Michel-de-Vesse | Mirebeau | 1644 |
LACHAMBRE Antoine | Ahun | Curzay-sur-Vonne | 1672 |
LAVIGNE François | St-Martial | Poitiers | 1722 |
LEBLANC Bernard | Haute-Marche | Poitiers | 1623 |
MARTINEAU Léonard | St-Sulpice-les-Champs | Mirebeau | 1676 |
MEAULME Léonard | Chamberaud | Mirebeau | 1599 |
MERIGOT Jean, Antoine, Léonard | Haute-Marche | Poitiers, Mirebeau | 1666, 1684 |
MONTILLON François | Sous-Parsat | Montreuil-Bonnin | 1689 |
PAQUINET Barthélémy | St-Sulpice-les-Champs | Mirebeau | 1676 |
PENON Léonard | Sous-Parsat | Montreuil-Bonnin | 1689 |
PENOT Léonard, Antoine, Jean | Haute Marche | Neuville-de-Poitou, Ayron | 1693, 1785 |
THENEAU Antoine | Sardent | Poitiers | 1587 |
VACHERON Léonard | Sardent | Poitiers | 1587 |
VALLERON Jean, Léonard, Sylvain, Nicolas, Antoine, Michel, François | Sous-Parsat | Poitiers, Montreuil-Bonnin, Sanxay | 1681, 1689, 1716, 1719 |
VINCENT Jean | Fransèches | Poitiers | 1694 |
Sources :
- Archives départementales de la Vienne et de la Creuse
- Martin Nadaud, Mémoires de Léonard
- Stéphane Dallet, Sur les pas des maçons de la Creuse, le Picton n°248