Oh, il ne s’agit pas d’une souveraine au destin historique, ni même d’une courtisane ayant fait la joie des gazetiers. Encore moins d’une artiste ou d’une savante dont les œuvres ou les découvertes auraient révolutionné le monde. Mais simplement d’une mère de famille du Poitou : Marguerite Arnaudeau.
Les souvenirs de sa vie se sont évaporés. Le temps passe, l’oubli fait son oeuvre, c’est ainsi.
Mais les actes et les registres sont encore là pour témoigner que cette Marguerite ne fut pas si ordinaire.
Et c’est un privilège que d’honorer ici sa mémoire. Tendons très fort l’oreille ...

Mon père, Antoine Arnaudeau, lieutenant des archers de la Grande Maréchaussée Générale du Poitou, veuf et sans enfant, s’était remarié sur le tard avec Françoise Millard, qui n’était plus toute jeune non plus. Aussi je vis le jour quand ma mère avait déjà presque 40 ans, et fus baptisée le 19 avril 1677 en l’église St Jean-Baptiste de Poitiers.

Bref, moi, Marguerite Arnaudeau, fille unique, j’ai été élevée comme une « fille de vieux ».
C’est sans doute cela qui me marqua le plus.
Alors, bien entendu, je n’ai rien fait comme mes parents !

A 12 ans on me fiance à François Ribault.
Il était notaire, et avait presque 20 ans de plus que moi … Encore un vieux.
Cependant, encore enfant, je signe sagement le 4 septembre 1689 par devant Maître Hilaire Marrot à Poitiers, un contrat de mariage où, suivant la formule consacrée, tout ce qui est stipulé est soi-disant voulu, consenti et accepté. Mais 6 mois plus tard, pour des raisons dont il serait indiscret d’en dévoiler les secrets, nous rompons nos fiançailles et, d’un commun accord, annulons notre contrat chez ce même notaire.

Et je n’ai pas mis longtemps à rencontrer l’homme de ma vie.
Honneur à la France, il s’appelait … Louis.
C’est ainsi que le 19 février 1691 j’ai épousé Louis Montois en l’église St-Michel de Poitiers.
Il était tout jeune procureur à Poitiers. Il avait 22 ans, et moi 13 et demi.
Et que pensez-vous qu’il arriva ?
Nous eûmes des enfants … évidemment !
1, puis 2, puis 3, puis 5, puis … 10, puis … 15. A 18, la cigogne prit un autre chemin.
8 garçons et 10 filles.
11 se sont mariés, 2 sont devenus prêtres, notre petit Marc-Antoine est décédé en bas-âge. Quant aux 4 autres, mon grand âge me fait perdre la mémoire, mais j’ai une vague souvenance de quelque voile de religieuse…
Trois siècles plus tard, il paraîtra que mes descendants seront des milliers aux 4 coins du monde.

Fait rare pour l’époque, nous allions fêter nos noces de diamant, lorsque mon mari décéda en 1750 après 59 années de mariage. A mon tour, cinq ans plus tard, je rendis mon âme à Dieu, et fus inhumée le 4 septembre 1755 dans l’église de Dissay.

 

18 enfants, 59 ans de mariage, voilà la vie bien remplie de cette Marguerite. Hommage mérité lui est rendu.
Mais en y regardant de plus près, un autre aspect de sa personnalité force davantage encore l’admiration.
Voyez plutôt sa signature.
Ci-dessous 2 spécimens : le 1er à son propre mariage à 13 ans et demi, le 2nd à 77 ans au mariage de l’une de ses petites filles à Poitiers St-Michel le 30 avril 1754, un an avant sa mort. Plus de 63 ans séparent ces deux signatures. La même constance dans le tracé, la même prestance, la même fermeté douce, la même aisance, la même ténacité, aucune courbe ne change, aucun laisser-aller, aucune ride …
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Extraordinaire Marguerite !