Du jeudi 29 septembre 1785


Observations d'un Curé des environs de Civrai

Le 26 Octobre 1784, il tomba dans nos cantons beaucoup de neige qui étonna nos vieillards ; le froid se fit sentir jusqu'au 18 Novembre, il tomba une pluye abondante ce jour-là ; le froid reprit & dura jusqu'au mois de février, & il tomba dans ce mois beaucoup d'eau qui fit augmenter la Charente.Nous n'avons point eu d'eau depuis cette époque.

Le 14 Mars, nous éprouvâmes, comme ailleurs, un vent très froid qui continua les 16, 17 et 18 ; jetta de la neige dans les appartemens, & en forma des monceaux dans les chemins, qui ont fait souffrir & arrêté les voyageurs.Le 28 mai, il tomba un peu d'eau qui pénétra la terre d'un demi-pouce de profondeur ; le 31 du même mois, on épouvra une gelée qui détruisit nos avoines & retarda nos bois.Voilà donc cinq mois que nous éprouvons une sécheresse qui détruit notre bétail & allarme tous les jours notre pays ; le grain a péri dans les champs, & le papillon le dévore dans les greniers.Ce n'est pas tout ; mes dixmeurs & plusieurs moissonneurs me firent appercevoir, le 6 juillet dernier, plusieurs vers qui tombaient des gerbes ; j'en ramassai quelqu'uns-uns que je reconnus bien, d'après M. Valmont de Bomare, être la chenille de la fausse teigne : nos moissonneurs n'ont jamais vu regner cet insecte dans nos blés.Je pris une poignée de froment, & je vis qu'une grande partie des grains était attaquée dans l'endroit du sillon du même grain, & que cet insecte avait brisé l'écorce du sillon pour s'introduire, déchirer & entamer la partie farineuse ; il paroît ensuite une petite trappe ouverte & un trou par lequel cette chenille a sorti.Nous voilà encore un nouvel ennemi dangéreux qui, joint avec le charançon & le papillon, va désoler notre pays, & d'après mes exactes recherches, je vois que les chaleurs de cette année ont fait propager tous ces dangéreux insectes d'une manière effrayante, & je ne doute plus que le papillon ait déjà donné plusieurs générations. Nos moissonneurs apperçoivent vers le coucher du soleil des essaims de papillons dans les plaines. Il faut absolument mettre en usage les opérations que propose ce Particulier du Languedoc [1] ; je ne cesse d'en faire l'éloge & d'encourager les propriétaires ; je leur ai montré combien cette méthode est bien plus simple & moins dispendieuse que toutes les autres ; elle offre moins de travail, il faut moins de bois, moins de charbon, & elle est moins à craindre. Cette chaleur est toujours égale, il ne faut ni livres ni thermomètres, ni ces précautions gênantes.D'ailleurs, comme il est d'usage de laver les blés, on peut réunir deux opérations en un seul jour ; l'économie s'y trouve. Mais après avoir fait l'éloge de cette opération, qui est à la portée de tout le monde, qui bien loin d'offrir du déchet dans le poids & la mesure, donne au contraire plus de pain, on me fit l'objection à laquelle j'ai voulu répondre par l'expérience. On me dit que ce blé lavé dans l'eau bouillante ne germeroit pas. Je répondis que ce grain n'éprouvoit qu'une chaleur passagère, momentanée ; je dis même qu'un jour j'avois vu un laboureur chauler son blé avec une chaux abondante & très-vive, et que pour voir si cette chaleur n'influoit pour sur le germe, j'étois allé le voir semer son blé, qui avoit très-bien germé, sorti & produit du grain ; sur le champ, en présence de personnes respectables, je
lavai du froment dans l'eau bouillante, je vis dans plusieurs grain de très-petites chenilles sorties à demi & cuites ; je ne cherchai point à considérer si c'était une chenille de papillon ou fausse teigne ; je semai le mon grain lavé, & l'expérience m'a prouvé mon erreur. J'ai répété mes essais, je n'ai jamais trouvé qu'un grain pourri & sans apparence de germer ; j'ai appris, comme j'apprends tous les jours, qu'en étudiant la nature, il faut suspendre son jugement, & que dans mes expériences le doute doit en être le commencement, parce qu'il est souvent le terme.
(La fin à l'ordinaire prochain)
AdP 07/07/1785 - 29/09/1785, v.25 (n°39, p.1)
Note :[1] L'article évoqué par le Curé est publié dans l'édition du jeudi 7 avril 1785. Le voici dans son intégralité :
Procédé éprouvé pour détruire les œufs de Papillons & les Charensons qui attaquent les grains, publiés par ordre du Gouvernement.
Les Officiers Municipaux d'une ville de Languedoc ont été invités au mois de Septembre 1784 à se transporter chez un particulier, qui leur a montré deux sacs de bled froment, qu'il ont vérifié être de même qualité & recueilli dans le pays ; après quoi ce particulier a fait tremper pendant quelques minutes un des deux sacs de bled dans l'eau bouillante, puis l'a fait égouter & l'a exposé sans sa cour, où le soleil donne environ pendant deux heures, pour le faire sécher ; il y est resté deux jours ; l'autre sac a été mis sous clef.Au bout de deux jours, le bled trempé ayant été trouvé assez sec, il en a été pris une mesure & autant de celui mis sous clef, pour les faire moudre & en faire du pain séparément.Les deux moutures ont ensuite été portées séparément chez un Boulanger de la ville ; la farine a été travaillée, & la pâte mise au four. Toutes les opérations ont été faites en présence des Officiers.Le pain cuit & réfroidi, il a été reconnu que celui provenant du bled lavé à l'eau bouillante, étoit un peu plus blanc que l'autre & avoir produit 3 pains doubles & demi de plus ; ce qui fait par sac 14 pains du poids de 2l. chacun, & sur le taux alors courant du prix du bled, une augmentation de 2 livres 16 sols par sac de 200l.Les Officiers Municipaux ont cacheté les sacs, qui renferment le restant des deux qualités de bled, & se proposent de faire une seconde & une troisième expériences pareilles à la première, l'une au mois de Mai 1785 & l'autre en Août suivant.En attendant, le particulier assure, dans un Mémoire qu'il a envoyé à la fin du mois de Novembre 1784, qu'il visite souvent les deux sacs qui lui ont été déposés, qu'il n'a point encore apperçu un seul ver sur le sac de bled lavé, tandis que l'autre en est surchargé.Si, comme il l'espère, le succès couronne ses espérances, l'on pourra dorénavant préserver les grains du Charenson, par une pratique qui ne sera ni dispensieuse ni difficile.L'on a, ajoute t-il, dans tous les ménages les instruments nécessaires à cette opération ; il voudroit seulement que le panier d'osier, dont on se servira pour plonger le bled dans la cuve, fut couvert ; le grain ne pourroit alors sortir aucunement. L'immersion doit être répettée trois ou quatre fois rapidement ; par le moyen d'un chaudron posé sur le foyer, on auroit soin d'entretenir l'eau au même degré de chaleur ; au sortir du cuvier, le froment seroit jetté en tas sur une toile, il en seroit rétiré demi-heure après. Il a à peu près besoin de ce temps pour pouvoir être ensuite remué avec un rateau sur d'autres toiles qu'on disposeroit tout près de celles qui l'auroient d'abord reçu, & il seroit possible qu'une seule personne donnât dans une journée cette dernière façon à 100 sacs de bled.
AdP 07/04/1785 - 30/06/1785, v.2 (n°14, p.2)

Du jeudi 6 octobre 1785
Fins des Observations d'un Curé des environs de Civrai


Quoique étonné dans mon peu de succès & trompé dans mon opinion, je vais exhorter & même forcer les métayers de ma famille à faire choix de leur blé de semence, le chauler sur le champ, le faire secher & le conserver dans un lieu sec ; car quoique mes expériences me fassent connoître le peu de solidité de mon jugement, je présume que la chaux peut détruire tous ces insectes ; & ensuite je ferai plonger dans l'eau bouillante tout le reste de la récolte.Mais excusez ; si on faisoit chauler tout le blé comme s'il devoit être fermé, cette chaleur ne détruiroit-t-elle pas les œufs de nos plus grands ennemis ? On laisseroit même la chaux sur le grain jusqu'à ce qu'il fut lavé comme on le lave en Angoumois ; car c'est un usage dans plusieurs pays de ne faire moudre aucun blé avant d'être lavé. Cette opération seroit couteuse, me dire-vous ; mais cependant je suis persuadé que les boulangers acheteroient préalablement ce blé qui lavé donneroit une farine sans pourriture ni nielle ; & bien plus, ceux qui cherchent du blé de semence, iroient plus hardiment dans les greniers où il se trouveroit du blé chaulé ; car aujourd'hui le peu de bonne foi qui règne, doit faire frémir en voyant tous les jours à quel point on trompe de toutes les manières sur toutes les marchandises qui devroient être sacrées. Ce système est nouveau ; mais rien ne doit vous étonner de la part d'un citoyen comme moi.Ce qui m'allarme, c'est de voir des seigneurs et propriétaires prendre si peu de précautions en bâtissant des greniers, & de voir beaucoup de raisonnements & peu de succès dans les expériences qu'on propose tous les jours.Qu'on fasse bâtir des greniers dont les murs soient assez épais pour entretenir le même degré de chaleur, des greniers ouverts aux quatre vents & dont les fenêtres étroites puissent servir de ventillateur continuel, l'humidité ne fera plus fermenter le blé ; on connoît la fraîcheur qu'on éprouve à la serrure d'une porte, on connoît la fraîcheur d'un soufflet, &c.Je ne cesserai de rapporter l'expérience que j'ai vu faire il y a cinq ans. Un fermier place dans une tour dont les murs ont six pieds d'épaisseur, une partie de la récolte d'un champ, & une autre partie dans le château ; cette dernière portion fut détruite & consommée par le papillon, au lieu de celle qui fut déposée dans la tour est encore saine ; la raison en est naturelle, c'est que la chaleur & le même droit s'y soutiennent d'une manière invariable. En effet, empêchez les perpétuelles alternatives du chaud & du froid, on empêchera la fermentation & l'accouplement des insectes.D'ailleurs, la nature est ingénieuse, féconde & inépuisable dans ses leçons. Les insectes sont instruits du lieu, du temps & du moyen qu'il faut employer pour leur multiplication, & ils choisissent bien un lieu qui puisse fournir la pâture à leurs petits. Un papillon ne déposera jamais ses œufs dans un endroit frais.En effet, qu'on ôte la fermentation, qu'on ôte le relâchement des pores du grain de froment, qu'on empêche la naissance des œufs, la génération sera bientôt détruite ; car quoique les blutoirs & moulins nettoyent le blé, ils n'empêchent pas le vent de midi d'augmenter l'échauffement ; mais en construisant des graniers avec des murs & des fenêtres comme dans la tour dont j'ai parlé plus haut, avec des ouvertures étroites qui serviront d'un ventillateur continuel, jamais le degré de chaleur n'y pénétrera pour faire éclore les œufs des insectes.Mais, me répondra-t-on, tout le monde ne peut pas faire les frais de pareils greniers. Cependant il faut, ou empêcher les perpétuelles alternatives du chaud & du froid, ou il faut interdire la transpiration & l'accès de l'air extérieur, pour préserver tous les corps de la corruption. Le grain qu'on trouva à Metz en 1707, celui qui se trouva à Sedan, font une preuve que, si on soustrait l'air extérieur, on détruira le papillon & on conservera le blé. En 1783, on trouva du seigle très sain dans une cave du vieux château de Civrai ; on a conservé trois cent ans trois œufs dans un mur d'église dans le Milanais ; ce blé & ces œufs n'avoient rien perdu de leur fraîcheur, odeur & saveur ; ainsi qu'on ôte l'air extérieur, on ôtera toute corruption.Je vous observerai encore que ceux qui ont semé de bonne heure ne sont si malheureux que les autres ; ils éprouvent la vérité de ces vers très anciens :Si tu veux bien moissonner,Ne crains pas trop tôt semer.N'ignorant pas que le peuple du Nord se sert de la cendre de fougère, au lieu de savon, pour nettoyer le linge, je conseillai à un de mes paroissiens de prendre beaucoup de fougère, la faire brûler dans un champ avant de semer du seigle. En effet, on fuma à un bout du champ avec de la cendre de fougère, & on mit à l'autre bout du fumier d'écurie ; la cendre a produit un meilleur effet ; ce qui ne doit étonner, parce que les cendres de fougère pétries dans l'eau fournissent beaucoup de sel & que la décomposition fournit un véritable humus.

J'ai
l'honneur d'être, &c.


AdP 06/10/1785 - 29/12/1785, v.1 (n°40, p.1)
Du jeudi 12 janvier 1786
Lettre d'un Curé des environs de Civray, à l'Auteur des Affiches


J'ai appris, M., que la lettre que vous avez insérée dans votre feuille, n°9, année dernière, avoit blessé la délicatesse & la modestie de la bienfaisante famille R. d. F.Comme je lui suis inconnu, je lui dois un aveu sincère & public des motifs qui m'ont animé ; je leur dirai, pour ma justification, qu'ils savent comme moi que quelques personnes des environs de Poitiers avoient publié que ces Seigneurs achetoient du blé pour trafiquer ; j'avoue que je fus si étonné d'un pareil propos, que je formai le projet sur le champ, d'être l'écho de mon pays & des pauvres qui en connoissent la fausseté ; d'ailleurs j'observerai encore que je me suis cru obligé dans cette année malheureuse, d'offrir au public des modèles de vertu & d'humanité dans un besoin aussi pressant ; & si j'ai fait voir que ces personnes respectables renonçoient à leurs intérêts des pauvres, ma qualité de citoyen me forçoit à un hommage de reconnaissance, que l'on ne peut refuser aux âmes bienfaisantes.Voilà, M., les motifs qui m'ont fait peindre très foiblement le sentiments nobles & charitables de cette famille, qui ne veut pas être nommée. Cependant je ne puis m'empêcher de parler de leurs épreuves & des mesures économiques qu'ils prennent pour le soulagement des pauvres.Comme ils savent que les pauvres employent leur peu d'argent pour acheter du blé, qui produit de mauvais pain ; qu'ils ignorent point que des meuniers peu fidelles leurs en dérobent une partie ; ils ont fait des expériences & ont reconnu que douze boisseaux de froment moulu, rendent vingt un boisseaux tant en fleur, bis blanc, gruau, petites & grosses recoupes, son, &c. Comme ils ont comparé souvent la pesanteur spécifique du blé à volume égal, ils ont vu d'une manière certaine, que le blé nouveau est plus pesant que celui de 1784. Ils ont vu encore qu'un blé mouillé ou humide pèse beaucoup moins qu'un blé bien sec et dur ; enfin, M., ils ont considéré, avec douleur, que les pauvres achetoient le blé, foisoient moudre, cuisoient & mangeoient leur pain dans le même jour ; que ce pain pesant, mal cuit, occasionnoit des indigestions, & nourrissoit peu. Ils ont pris depuis deux mois le parti de faire vendre & distribuer à trois paroisses du pain froment & seigle, à six liards la livre ; ce pain qui est léger, cuit depuis quatre jours, bien levé & bien fait, produit un meilleur effet, & une plus solide nourriture ; de façon, M., que tous ces malheureux ont du pain excellent à moitié moindre prix que chez les boulangers ; on leur donne en outre de l'argent pour le chauffage.Tel est le commerce de cette famille à qui on attribue peut-être maintenant une vertu de parade ; mais quelque chose qu'il en soit, cette vertu de parole est fort ancienne. Il y a bien des années qu'on leur voit faire des actes continuels de bienfaisance ; plût à Dieu, pour le bonheur des vrais pauvres, qu'il n'existât point d'autre passion que l'orgueil & la vanité de faire des heureux ! l'on ne verroit pas tant de malheureux gémir sous le poids de la misère.J'ai l'honneur d'être, etc.
AdP 05/01/1785 - 30/03/1786, v.3 (n°2, p.3)